Visualizzazioni totali

sabato 20 febbraio 2016

Paragrafo della mia tesi di dottorato francese (mai più riletta e sicuramente piena di errori) in cui si ragiona a partire da Lector in fabula, di U. Eco

3.10.1 Le Lecteur (de philosophie) Modèle

On pourrait nous objecter que Sperber et Wilson parlent de la communication orale et de son style, non pas de pensées philosophiques et d'écriture. Mais il n'y a pas de doute qu'on puisse élargir la théorie du style de Sperber et Wilson à la communication écrite, comme il est nécessaire de faire pour appliquer la TPSW à ce genre constitutivement écrit qu'est la philosophie après Socrate.
Sperber et Wilson affirment explicitement que la TPSW peut expliquer aussi la « pensée savante », puisque l’étude de l’inférence spontanée est préalable aux recherches sur toutes les formes d’inférence humaine et sur la communication inférentielle1. Et concernant l'adresse directe à un destinataire en présence ou celle différée vers un publique de lecteurs, Sperber et Wilson fixent que le destinataire d'un acte de communication ne doit pas être un destinataire précis2.
Cela – nous semble-t-il – légitime notre recherche concernant le style philosophique à partir de la TPSW. Si l'on maintient que la nature de la pensée est homogène du point de vue ontologique, une théorie comme la STPW, qui essaie d'expliquer le fonctionnement des processus de pensée et de communication, peut jeter une lumière nouvelle aussi sur cette forme de création et de communication de pensées qu'est la philosophie.
Le concept d’"environnement cognitif" doit être adapté au contexte de l’écriture philosophique que nous visons. On a vu que pour Sperber et Wilson les indices sont des signes matériels qui attestent chez Alter l’intention d’Ego (cf. § 3.8). Dans le cas de l’écriture (vs la communication orale), il n'y a pas d’environnement cognitif mutuel, c’est-à-dire un environnement où « toute hypothèse manifeste est […] mutuellement manifeste »3.
Les hypothèses de l'écrivant et du lecteur, en revanche, ne sont pas manifestes. Un texte est « quelque chose qui s’est vérifié précédemment comme un acte d’énonciation et qui est présent textuellement comme un énoncé », et à partir de ce quelque chose le lecteur empirique se fait « une image type » de l’Auteur Modèle, tandis que l’auteur empirique « doit postuler quelque chose qui n’existe pas encore actuellement et le réaliser comme une série d’opérations textuelles »4
Pour expliquer les interactions entre la production du message communicatif textuel et la compréhension du message et du texte, Eco (1979) a proposé une théorie du Lecteur Modèle5, partant de la définition suivante : « Un texte, tel qu'il apparaît dans sa surface (ou manifestation) linguistique, représente une chaîne d'artifices expressifs qui doivent être actualisés par le destinataire »6. Même si Eco traite de textes narratifs, cette définition est suffisamment large pour qu'elle soit applicable aux textes philosophiques7.
Eco parle d'une actualisation coopérative de la part du Lecteur, le texte étant une machine virtuelle qui a besoin du destinataire pour fonctionner :
Une expression reste pur flatus vocis tant qu'elle n'est pas corrélée, en référence à un code donné, à son contenu conventionné : en ces sens, le destinataire est toujours postulé comme l'opérateur (pas nécessairement empirique) capable d'ouvrir le dictionnaire à chaque mot qu'il rencontre et de recourir à une série de règles syntaxiques préexistantes pour reconnaître la fonction réciproque des termes dans le contexte de la phrase8 [Eco (1979), p. 50, trad. fr. p. 61].

La théorie sémiotique du Lecteur Modèle ressemble suffisamment au modèle communicatif de la TPSW pour qu'on puisse comparer les deux discours théoriques. Remarquons tout de suite que les notions de « référence a un code donné » et de « contenu conventionnel » sont tout à fait caractéristiques d'une théorie qui peut être subsumée par le modèle-code9, ce qui éloignerait la théorie du Lecteur Modèle de la TPSW.
Une objection concernant l'application de la TPSW aux textes philosophiques pourrait être que la théorie prévoit l'intervention de l'intentionnalité (représentations mentales/computations), alors que dans l'absence physique de l'auteur des textes la place des intentions n'est pas évidente. Dans sa querelle avec Derrida10, John Searle explique bien le point de vue du réalisme intentionnel concernant la communication textuelle :
Dans la mesure où l'auteur dit ce qu'il veut dire, le texte exprime ses intentions. Il est toujours possible qu'il puisse ne pas avoir dit ce qu'il voulait dire, ou que le texte puisse s'être dégradé d'une façon ou d'une autre ; mais des considérations absolument analogues s'appliquent au discours parlé. La situation en ce qui concerne l'intentionnalité est exactement la même pour le mot écrit qu'elle l'est pour le mot parlé : comprendre l'énoncé consiste à reconnaître les intentions illocutoires de l'auteur ; ces intentions peuvent être plus ou moins parfaitement réalisées par les mots énoncés, qu'ils soient écrits ou parlés. Et comprendre la phrase indépendamment de l'énonciation consiste à savoir quel acte linguistique on accomplirait en l'énonçant [Searle (1977), trad. fr. p. 13].

Cette défense searlienne de la présence dans le texte des intentions de l'auteur nous semble correcte. Certes, l'analogie entre les intentions du discours verbal et celles du discours écrit n'effacent pas l'absence du destinataire au moment de l'écriture (au moins dans les cas normaux) : c'est pour cela qu'il faut disposer d'une théorie de la représentation des intentions communicatives qui inclue le dispositif d'un lecteur hypothétique, imaginé plus ou moins consciemment par l'écrivant et réellement différé dans le temps et dans l'espace par rapport à l'acte d'écriture.
Le philosophe écrivant pour un publique a des intentions communicatives, donc il doit exprimer ces intentions de la façon la plus pertinente possible. Selon la TPSW, dans la communication verbale la pertinence est recherchée dans la relation à l'auditoire, mais dans le cas d'une communication (philosophique) écrite on ne connaît pas grande chose, à priori, de son publique de lecteurs virtuels, exception faite pour les textes "d'occasions", destinés à une communication orale devant un publique précis : les jeunes étudiants de philosophie de la faculté de philosophie de Paris 8, plutôt que ceux de la Columbia University.
Les situations réelles possibles étant infinies, ou en tout cas très nombreuses, on peut toutefois limiter le domaine de façon "disciplinaire" : le philosophe s'adressant à des gens qui ont une représentation mentale de « la philosophie ». Ensuite, comme le dit Eco (1979), il y a le choix d'un type d'encyclopédie, car de toute évidence « si je commence un texte par | Comme l'explique très clairement la première Critique…|, j'ai déjà restreint, de manière très corporatiste, l'image de mon Lecteur Modèle »11. En tout cas, même si le philosophe connaît très bien la mécanique quantique il ne présupposera pas forcément un Lecteur Modèle expert de philosophie quantique, puisque il est manifeste que le lecteur de philosophie n'est pas le même que celui qui lit habituellement des texte professionnels portant sur la physique quantique.
Ecrire un texte philosophique implique une représentation générale de ce qu'est la philosophie et une représentation particulière d'un publique philosophique restreint auquel on s'adresse avec un certain texte : écrivant un texte sur Jacques Derrida on pourrait raisonnablement faire l'hypothèse qu'on ne sera pas lu par Jerry Fodor et ses élèves.
Revenons au Lecteur Modèle. Eco dit qu'« un texte se distingue d'autres types d'expression par sa plus grande complexité. Et la raison essentielle de cette complexité, c'est le fait qu'il est un tissu de non-dit »12. Or, nous avons vu que selon la TPSW l'implicite n'est pas un apanage des textes, au contraire le rapport entre explicite et implicite est l'un des mécanismes de la communication et du style selon la TPSW (§ 3.11). Caractérisant le texte comme « mécanisme paresseux (ou économique) qui vit sur la plus-value de sens qui y est introduite par le destinataire »13 Eco exprime une idée semblable de celle selon laquelle la communication écrite est régie par la Pertinence. La Pertinence est exactement cette « économicité » qu'Eco attribue justement au mécanisme textuel. En revanche tout acte de communication est produit à partir de la présomption de la maximisation de la pertinence, même s'il peut y avoir des violations de ce principe (cf. § 3.4).
Eco soutient en fait qu'« un texte est un produit dont le sort interprétatif doit faire partie de son propre mécanisme génératif » et que la génération d'un texte consiste à mettre en œuvre une stratégie incluant les prévisions des mouvements de l'autre14. C'est ici le concept de « stratégies textuelle » qui régit le dispositif théorique du Lecteur Modèle :
Pour organiser sa stratégie textuelle, un auteur doit se référer à une série de compétences (terme plus vaste que "connaissance de codes") qui confèrent un contenu aux expressions qu'il emploie. Il doit assumer que l'ensemble de compétences auquel il se réfère est le même que celui auquel se réfère son lecteur. C'est pourquoi il prévoira un Lecteur Modèle capable de coopérer à l'actualisation textuelle de la façon dont lui, l'auteur, le pensait et capable aussi d'agir interprétativement comme lui a agi générativement [Eco (1979), p. 55, trad. fr. p. 67]15.

Le modèle de Eco est d'ailleurs plus, prévoyant entre autre que les textes ne présupposent pas seulement les compétences du lecteur mais ils contribuent aussi à les produire16 ; il y a des « textes fermés », à l'intentio auctoris plus univoque, et des « texte ouverts », où l'intentio auctoris est disposée à prévoir plusieurs possibilités interprétatives17 ; il faut ensuite distinguer entre usage et interprétation des textes18 ; « l'Émetteur et le Destinataire sont présents dans le texte non tant comme pôles de l'acte d'énonciation que comme rôles actanciels de l'énoncé »19, c'est-à-dire des dispositifs textuels séparés de l'émetteur et du destinataire réels, ce qui conduit à la conclusion que « le Lecteur Modèle est un ensemble de conditions de succès ou de bonheur (felicity conditions), établies textuellement, qui doivent être satisfaites pour qu'un texte soit pleinement actualisé dans son contenu potentiel »20 .
Or, en quoi ce modèle de Lecteur peut modéliser aussi le lecteur de philosophie ? Plus qu'en adoptant des stratégies textuelles et puisqu'en général il n'écrit pas un texte de fiction (même lorsqu'il le fait il est censé essayer de dire quelque chose de vrai), le philosophe-écrivant nous semble devoir procéder en maximisant la pertinence de son écriture, recherchant le maximum d'effets cognitifs/émotifs/poétiques en conjonction avec un degré pertinent de difficulté de traitement.
Un écrivant, philosophe ou pas, peut violer le principe communicatif de Pertinence s'il veut obtenir certains effets cognitifs/émotifs/poétiques. Si cela est évident dans l'art21, dans le cas des textes philosophiques aussi il peut y avoir, et il y a souvent, des intentions stylistiques visant des effets cognitifs/émotifs particuliers, demandant un effort de traitement qui peut être remarquable.
Un bon exemple de texte au style ardue mais offrant à son lecteur des inépuisables effets sublimes, pourrait être considéré Wittgenstein (1922), dont la densité conceptuelle et la forme aphoristique hiérarchisée constituent un modèle indépassable de machine textuelle philosophique.

En réalité la théorie du Lecteur Modèle ne nous semble pas adéquat aux textes philosophiques, qui escomptent une vocation protreptique, et dans lesquels le philosophe présuppose toujours que le lecteur trouvera suffisamment pertinent ce qu'il comprend pour ensuite aller étudier ce qu'il ne comprend ou qu'il ne connaît pas.

1 Sperber et Wilson (1986/1995), p. 75, trad. fr. p. 119 : « Le modèle de la communication inférentielle et la notion de pertinence que nous nous efforçons de développer ne sont pas liés à une forme particulière d’inférence. Nous pensons, par exemple, que le travail long et réfléchi d’interprétation textuelle auquel se livrent les exégètes religieux ou littéraires n’est pas moins régi par le principe de pertinence que la compréhension spontanée des énoncées. [... L]’inférence spontanée joue un rôle dans l’interprétation littéraire ou religieuse, tandis que la pensée savante est une entreprise sortant de l’ordinaire, même pour les savants. L’étude de l’inférence spontanée est donc un préalable fondamental à des recherches sérieuses sur toutes les formes d’inférence humaine, et en particulier sur la communication inférentielle ».
2 Sperber et Wilson (1995), p. 158, trad. fr. p. 238 : « Les destinataires d'un acte de communication ostensive sont les individus dont le communicateurs essaye de modifier l'environnement cognitif […] Dans le cas de propos tenus à la cantonade, des publications, des émissions de radio ou de télévision, un stimulus peut être adressé à quiconque le trouvera pertinent » Sperber et Wilson (1995), p. 158, trad. fr. p. 238.
3 Sperber et Wilson (1995), p. 158, trad. fr. p. 238.
4 Eco [1979], p. 62.
5 Riffatterre (1971) parle d'« archilecteur ».
6 Eco (1979), p. 50, trad. fr. p. 61 : « Un testo, quale appare nella sua superficie (o manifestazione) linguistica, rappresenta una catena di artifici espressivi che debbono essere attualizzati dal destinatario ».
7 Ce qui semble confirmé par cet exemple : « Dans ce texte, Wittgenstein n’est autre qu’un style philosophique et le Lecteur Modèle n’est autre que la capacité intellectuelle de partager ce style en coopérant à son actualisation » [Eco (1979), p. 61, trad. fr. p. 76].
8 « Una espressione rimane puro flatus vocis sino a che non è correlata, in riferimento a un codice dato, al suo contenuto convenzionato : in tal senso il destinatario è sempre postulato come l'operatore (non necessariamente empirico) capace di aprire, per così dire, il dizionario a ogni parola che incontra, e di ricorrere a una serie di regole sintattiche preesistenti per riconoscere la reciproca funzione dei termini nel contesto della frase ».
9 Il est vrai qu'Eco a été vite critique au regard du modèle-code classique de la sémiologie (voir Eco, 1975 et 1980), mais sa critique a pris la route, selon nous épistémologiquement plus incertaine, d'une multiplication des codes plutôt que celle de la valorisation de la faculté inférentielle : « […] il n'y a jamais de communication linguistique, au sens strict du terme, mais bien une activité sémiotique au sens large, où plusieurs systèmes de signes se complètent l'un l'autre » [Eco (1975), p. 53, trad. fr. p. 65].
10 Voir Derrida (1972) ; Searle (1977) ; Derrida (1977) ; voir aussi Mulligan (2003) et Ferraris (2003).
11 Eco (1979), p. 55, trad. fr. p. 68.
12 Eco (1979), p. 51, trad. fr. p. 62.
13 Ibidem, p. 52, trad. fr. p. 63.
14 Eco (1979), p.54, trad. fr. p. 65.
15 « Per organizzare la propria strategia testuale un autore deve riferirsi a una serie di competenze (espressione più vasta che "conoscenza di codici") che conferiscano contenuto alle espressioni che usa. Egli deve assumere che l'insieme di competenze a cui si riferisce sia lo stesso a cui si riferisce il proprio lettore. Pertanto prevederà un Lettore Modello capace di cooperare all'attualizzazione testuale come egli, l'autore, pensava, e di muoversi interpretativamente così come egli si è mosso generativamente ».
16 Eco (1979), p. 56, trad. fr. p. 69 : « Donc, prévoir son Lecteur Modèle ne signifie pas uniquement "espérer" qu'il existe, cela signifie aussi agir sur le texte de façon à la construire. Un texte repose donc sur une compétence mais, de plus, il contribue à la produire ».
17 Mais il faut remarquer que cette différence s'abolit toute seule : « Rien n'est plus ouvert qu'un texte fermé. Mais son ouverture est l'effet d'une initiative extérieure, une façon d'utiliser le texte et non pas d'être utilisé par lui, en douceur. Il s'agit là de violence plus que de coopération » [Eco op. cit. p. 57, trad. fr. p. 71]. Il semble qu'en philosophie la violence ait souvent dépassée la douceur.
18 Eco (1979), §3.4.
19 Eco (1979), p. 61, trad. fr. p. 75.
20 Eco (1979), p. 59 trad. fr. p. 77.

21 Peut-être surtout dans les arts « de l'espace » et non pas dans les arts « du temps » qui requièrent un effort cognitif en temps réel.