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lunedì 21 febbraio 2011

2.4 Style expressif de la pensée wittgensteinienne (Lacerti di una tesi di dottorato in filosofia, 2007)

Si on ne considère pas l'espace vide dans les Dictées à Waismann laissé sous la voix « style de pensée », il y a au moins une apparition textuelle explicite et très significative de cette expression :
En un sens, je fais de la propagande en faveur d’un style de pensée en tant qu’il est opposé à un autre. […] Changer le style de pensée, c’est ce qui compte dans ce que nous faisons. Changer le style de pensée, c’est ce qui compte dans ce que je fais, et persuader les gens de changer leur style de pensée, c’est ce qui compte dans ce que je fais [Wittgenstein (1938), trad. fr. p. 64-65].

Il est évident que Wittgenstein considère la question du changement de style de pensée comme une véritable question éthique, la question d’une conversion. Bien sûr, la conversion requise – et l’auto-conversion, étant donnée la véritable lutte que la pensée wittgensteinienne dû accomplir presque contre elle-même – c'est une façon de se libérer des inquiétudes philosophiques liées à l'obsession pour l’explication, en faveur du descriptivisme grammatical, point d’arrivée de la philosophie du deuxième Wittgenstein[1].
Depuis l’usage fait par Wittgenstein de l’expression « style de la pensée » on peut en déduire qu'il ne s’agit pas d’une simple métaphore, mais d’une désignation pertinente de l’activité de penser. Certes, Wittgenstein ne dit pas en quoi consisterait le style de pensée et à notre connaissance il n’imagine aucun jeux de langage pour éclairer les usages possibles de cette expression, pourtant mystérieuse en l’absence d’une théorie de la pensée ou d’un usage paradigmatique.
Même si on a parlé à tort du prétendu « béhaviourisme philosophique » de Wittgenstein[2], sa position sur la nature de l'esprit et de la pensée est lointaine de tout projet de naturalisation. Wittgenstein soutient en effet que des états mentaux on peut parler sur un autre plan que celui des processus et des événements, qu'ils soient psychologiques, privés ou objectifs, ou physiques ou physiologiques, puisque tous ces processus ou événements sont compris sur le modèle causal qui fait des états mentaux les effets d’événements internes ou externes à un organisme[3].
La confusion entre la logique des causes et celle des raisons est selon Wittgenstein fatale pour la psychologie et projetant à l’intérieur de l’esprit un « mécanisme hypothétique »[4] – tel que les models des facultés mentales des sciences cognitives – on ne fait que reproduire cette confusion[5].
Wittgenstein ne nie pas l’existence des attitudes propositionnelles (cf. infra § 4.1) : il nie la possibilité de les traiter comme des états objectifs, des représentations mentales, des objets abstraits nécessaires pour expliquer le fonctionnement de l'esprit et de la pensée. Si la position wittgensteinienne est anti-représentationnaliste (et anti-computationnaliste avant la lettre), elle n’est pas anti-réaliste en matière d’attitudes propositionnelles, pourvu qu’on ne les réduise pas à des états mentaux privés.
Or, Wittgenstein aurait-il pu attribuer à la pensée une véritable propriété stylistique tout en considérant ineffable la pensée lorsque encore inexprimée ? L'hypothèse substantialiste est incohérente avec l’ensemble de la seconde philosophie wittgensteinienne :
D’une manière générale, Wittgenstein insiste sur le fait que les concepts mentaux n’appartiennent pas à la catégorie de substance, mais à celle des propriétés des substances : ce ne sont pas des choses, des épisodes, des événements, mais des propriétés que nous attribuons à des individus ou à des personnes. D’où le leitmotiv suivant : des expressions comme « l’esprit pense », « le cerveau pense », ou « Untel a des pensées », sont des non-sens grammaticaux, parce qu’on suppose que l’esprit et le cerveau sont « des choses qui pensent », ou qu’ils ont des pensées. Mais la pensée n’est pas une chose, et une pensée n’est pas une chose qu’on pourrait avoir, comme on a du bon tabac dans sa tabatière. Une pensée est plutôt un attribut de quelqu’un [Engel (1996), p. 171].

L’image wittgensteinienne de la pensée[6] exclue la possibilité d’une ontologie de l’attribution stylistique : le phénoménalisme grammatical wittgensteinien rend insensé parler de style de pensée comme propriété d'une substance de pensée. Dans cette perspective, pourrait-on imaginer un jeu linguistique à l’intérieur duquel l’expression « changer le style de la pensée » aurait un sens ? Ce serait un jeu méta-philosophique, le jeu linguistique de l’« idéologie » wittgensteinienne avec sa dénonciation des maux de la civilisation contemporaine[7].
Certains fragments publiés dans Zettel et remontant aux années de 1929 à 1948, constituent un témoignage clair de l'image wittgensteinienne de la pensée :
110. « Penser », c’est un concept qui a de lointaines ramifications. Un concept qui rassemble en lui bien des manifestations de la vie. Les phénomènes de pensée couvrent un bien large camp.
111. Nous ne sommes pas du tout préparés à la tâche de décrire (par exemple) l’emploi du mot « penser » (et pourquoi le serions-nous? Quelle utilité aurait-elle une telle description?).
Quand à la représentation naïve que nous nous en faisons, elle ne correspond en rien à la réalité. Nous nous attendons à lui trouver un contour uni et régulier, et tout ce que nous arrivons à voir, c’est un contour fait de mille éclats. Ce serait bien là le cas de dire que nous nous sommes fait une image fausse [Wittgenstein (1967), trad. fr. p. 37-38][8].

Faisant remarquer qu’apparemment nous ne sommes pas préparés à décrire l’emploi du mot « penser », Wittgenstein semble restituer quelque chose du sens de la merveille philosophique contre les automatismes de la pensée scientifique. En tout cas Wittgenstein a une conception richissime de la pensée : toute sa dernière philosophie de la psychologie est une critique à tout réductionnisme en philosophie de l’esprit, soit-il un réductionnisme cartésien, matérialiste ou behaviouriste[9].
Les innombrables observations wittgensteiniennes sur la psychologie ont le résultat positif de souligner la variété phénoménologique du mental. Une typologie possible de la phénoménologie wittgensteinienne du mental est celle de Baker et Hacker (1982) reprise par Casati (1997) et soulignant les éléments suivants dans la philosophie wittgensteinienne de la psychologie :
1) la distinction entre la première et la troisième personne ;
2) les distinctions en termes de localisation temporelle et d’aspects temporels auxquels sont sensibles les verbes et les concepts psychologiques (les phénomènes psychologiques se divisant en instantanés, indifférenciés – comme la connaissance – ou doués d’un rythme temporel particulier) ;
3) la possibilité de localisation physique qui distingue certains événements et propriétés psychologiques (les sensations) ;
4) la possibilité d’avoir des degrés, qui distingue les sensations des pensées ;
5) la possibilité d’avoir une manifestation expressive (ici la position wittgensteinienne est déterminable comme expressionniste (Casati), puisque les ainsi dites qualités tertiaires ou expressives sont perçues directement, sans inférences[10] ;
6) la dispositionnalité de certains concepts psychologiques ;
7) la perméabilité à la volonté de certains phénomènes mentaux ;
8) la relation informationnelle avec le monde externe de certains phénomènes, qui en dépendent pour leur contenu informatif ;
9) la relation de certains concepts psychologiques avec la causalité.

En sus de cette typologie implicite à laquelle Wittgenstein se consacrait de façon non systématique, le regard philosophique wittgensteinien présuppose la critique radicale de l’explication, en psychologie comme en philosophie. Comme le dit bien le slogan philosophique des Recherches, « Denke nicht, schau ! »[11], Wittgenstein veut substituer à l’explication philosophique (qui pour lui n’en est pas une) une vision synoptique (übersichtliche Darstellung)[12]. Etant donné que « le grammatical n’est atteint que lorsque l’explication tombe »[13] on se trouve devant un choix radical entre une perspective grammaticale, dans le sens idiosyncrasique de Wittgenstein, et d’autres possibilités méthodologiques mises à disposition par la philosophie. Mais l’injonction à ne pas essayer d’expliquer peut aussi bien être vu comme un défaut de manque d’explication[14] :
Si l’énoncé 'Il y a 37 pommes sur l’arbre' n’est pas rendu vrai par quelque fait concernant l’arbre, mais par le fait que tous ceux qui comptent les pommes sur l’arbre arrivent à 37, il n’est alors pas possible d’expliquer comment tous ceux qui comptent les pommes sur l’arbre arrivent à 37 (normalement l’on expliquerait en disant qu’il y a 37 pommes sur l’arbre ; dans le contexte présent [celui de la philosophie wittgensteinienne] nous devrions dire que tous arrivent à 37 puisque tous arrivent à 37) [Casati (1997), p. 209, nous traduisons].

Cette conception ne peut pas satisfaire si l’on ne partage pas la dénonciation wittgensteinienne de l’inquiétude philosophique consistant à chercher des explications, surtout dans le cadre des sciences naturelles (comme le fait la « Nouvelle Synthèse » : cf. § 4.8). La complexe attitude de Wittgenstein envers la philosophie et la science bloque d’emblée la possibilité des spéculations métaphysiques, y inclus celles de la philosophie cognitive, mais ce blocage n’est effectif que pour ceux qui sont concerné par la tonalité émotive de la philosophie wittgensteinienne[15].
Cette critique radicale de l'explication causale équivaut d'ailleurs à la négation avant la lettre du programme de recherche cognitiviste, fondé comme il est sur l’explication causale et sur la recherche et la formulation de régularités nomologiques (avec la clause ceteris paribus). Mais il faut rappeler que la situation de la psychologie et la relation entre philosophie et psychologie et aujourd’hui bien différente qu’à l’époque de Wittgenstein[16]. Remarquons pourtant que même dans la perspective modulariste – notamment dans l’hypothèse de la Modularité Massive (cf. § 4.8) – l’on admet une multiplicité de faculté de l’esprit : les modules de l'esprit ou organes mentaux (Chomsky) ne sont pas facilement dénombrables s'il est vrai qu'ils peuvent aussi avoir les dimension d’un concept[17]. Mais dans l’image modulariste de la pensée il y a l’idée fondamentale que d’un point de vue naturalisant l’on peut faire ce que Wittgenstein considère fourvoyant, c’est-à-dire expliquer. La philosophie cognitive procède en faisant des hypothèses de mieux en mieux explicatives sur la structure et le fonctionnement du cervau-esprit[18].

A notre avis il est donc probablement impossible d’extraire une véritable théorie wittgensteinienne du style de la pensée. Que Wittgenstein parle de style de pensée nous semble donc représenter une tension interne à sa pensée : si l’on ne pouvait parler que de la pensée exprimée, comme le veut Wittgenstein, le style de pensée ne devrait-il pas se réduire au style de l'expression ou de la communication de la pensée ? Si parler de la pensée n’était possible qu'une fois la pensée exprimée, a fortiori parler d’un attribut quelconque de la pensée, tel son prétendu style, devrait être compris comme parler d'un attribut de l'expression de la pensée.


[1] Sur ce point voir Soulez (1997).
[2] Wittgenstein (1953), § 308 (cité in Casati (1997), p. 216), par exemple prend nettement position contre le béhaviourisme.
[3] Engel (1996), p. 165.
[4] Wittgenstein (1958).
[5] Engel (1996), p. 168.
[6] L’on pourrait pourtant considérer la première image de la pensée wittgensteinienne, quelque peu différente de la deuxième ; à l’époque du Tractatus en effet Wittgenstein concevait la pensée comme « une espèce de langage » [Wittgenstein (1979), cité in Glock (1996), p. 421]. Wittgenstein (1921) définie la pensée comme « la proposition douée de sens » (proposition 4), comme « l’image logique des faits » (proposition 3) ou encore comme le « signe propositionnel appliqué, pensé » (proposition 3.5). Glock [Ibidem] commente ainsi : « Une pensée est elle-même une proposition dans le langage de la pensée, intimement liée au signe propositionnel. […] Par suite c’est un trait essentiel des pensées que de pouvoir être exprimées complètement dans le langage. Cela rompt avec la conception vénérable, partagée par Frege et Russell, selon laquelle la relation entre la pensée et le langage est externe ». Une telle conception "effabiliste" de la pensée n’est pas encore la résorption de la pensée dans le langage, et permettrait peut-être de faire l’économie d’une notion du style de pensée chez le premier Wittgenstein.
[7] Voir Casati (1997), p. 196.
[8] « 110. 'Denken', ein weit verzweigter Begriff. Ein Begriff, der viele Lebensäusserungen in sich verbindet. Die Denk-phänomene liegen weit auseinander.
111. Wir sind auf die Aufgabe gar nicht gefasst, den Gebrauch des Wortes "denken" z. B. Zu beschreiben. (Und warum sollten wir's sein? Wozu ist so eine Beschreibung nütze?)
Und die naive Vorstellung, die man sich von ihm macht, entspricht gar nicht der Wirklichkeit. Wir erwarten uns eine glatte, regelmäßige Kontur und kriegen eine zerfetzte zu sehen. Hier könnte man wirklich sagen, wir hätten uns ein falsches Bild gemacht ».
[9] Voir Engel (1996) p. 178.
[10] Casati (1997), p. 218 : Le fait que nous voyons directement la tristesse sur un visage « signifie que le concept de tristesse fait déjà partie du contenu perceptif » et qu’« en tout cas nous ne saurions pas décrire la configuration du visage sans employer le concept de tristesse » : il y a donc une relation interne entre concept et manifestation perceptive »).
[11] Wittgenstein (1953), § 66.
[12] Voir Soulez (2005), p. 120-121 : « […] la grammaire wittgensteinienne vise un objectif positif qui est d’abord cette vision synoptique, laquelle ne peut être éventuellement atteinte que si l’on fait la chasse aux mots « métalogiques » [ » Y compris les mots « philosophie », « langage  »,  etc. Cf. Dictée « Philosophie », vol. 1, p. 61 », note d’A. Soulez]. La méthode doit cependant rester descriptive et opposer toujours une résistance au besoin de donner des explications profondes. L’attention portée aux règles l’emporte sur l’explication de ces règles et même nous en dispense car seule la vision des connexions intermédiaires suffit ».
[13] Soulez (2005), p. 121.
[14] Casati (1997), p. 209.
[15] Comme le résume Casati (1997), p. 210 : « Toutefois il est difficile de trouver chez Wittgenstein un argument vainquant contre le désir d’expliquer ou de rationaliser certains phénomènes, en particulier ceux du comportement humain ».
[16] Voir Casati (1997), p. 197 : « [l]a complexité des interactions entre philosophie et psychologie (dans les deux directions) est aujourd’hui telle qu’elle constitue un véritable objet théorique, et cela ne valait pas à l’époque où Wittgenstein écrivait, si ce n’est qu’en mesure marginale ».
[17] Voir Sperber (2002) : « J’argumentais [in Sperber (1994)], que les capacités spécifiques à un domaine [domain-specific abilities] étaient subordonnées à des véritables modules, que les modules existent dans tout format et dimension, y inclus les micro-modules de la taille d’un concept, et que l’esprit était complètement modulaire ».
[18] Sur l’architecture de l’esprit selon la perspective modulaire, voir Carruthers (2006).

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